Katanga Business De la françafrique à la chinafrique Thierry Michel est un documentariste belge qui a consacré une grande partie de son oeuvre à décrire le Congo Belge, devenu Zaire puis RDC. Après "Zaire, le cycle du serpent" (1992) puis "les derniers colons" (1995) il a dressé un portrait impitoyable du dictateur chouchou de la françafrique dans "Mobutu roi du Zaire" (1999), et a fait son constat amer de la fin de la colonisation dans "Congo river" (2005). Thierry Michel est sans doute le plus africain des cinéastes belges, même si en tant que Belge, son film n'a pas pu concourir en sélection officielle au Fespaco. On n'est pas trop inquiet quant au destin du film. Et tout équilibré et fin qu'il soit, notamment en sachant porter un regard critique sur les personnages belges, et également en donnant largement la parole au peuple des mineurs katangais, cela reste un point de vue belge, qui s'assume. Il revient en 2009 avec une enquête puissante et passionnante sur les mines de la région du Katanga, en RDC. Les paysages sont très forts : on commence par découvrir, vu d'hélicoptère, en accompagnant le propriétaire belge de l'une de ces mines, d'immenses étendues minières, tantôt de cobalt, tantôt de cuivre exposées à ciel ouvert. On pénètre ensuite dans des tunnels. On voit des forages, des tuyauteries, tout un arsenal minier qui renverrait plutôt à l'imaginaire du Nord de la France... ou même de la Belgique. Sauf qu'ici, le ciel est bleu et que l'on est en RDC. Les mineurs sont africains, gueules cassées de rigueur. C'est dur. Et ici, contrairement au nord de la France, les mines continuent à tourner et le sous-sol à regorger de richesses. Ces images ont d'autant plus de force quand on sait que les premiers films documentaires de Thierry Michel ont été tournés dans le bassin minier de son enfance, en Belgique ( "Pays Noir, Pays Rouge", "Chronique des Saisons d'Acier" et "Hiver 60" fiction qui raconte la grande grève insurrectionnelle belge de 1960) .Thierry Michel montre bien la prédation de la terre africaine : on voit quasiment sortis de la terre, des mottes entières de cuivre, encore mou, presque liquide, un métal prêt à être traité et exporté. Idem pour le cobalt. On comprend que ces métaux sont encore recherchés et vendus dans le monde entier. L'investigation du réalisateur nous montre peu à peu les forces en présence. Elles s'incarnent toutes dans des personnages forts. Le directeur de la principale mine est un belge, descendant de la dynastie des fondateurs de la mine. Pour ce Blanc à la moue méprisante et au regard bleu, les Belge, et sa famille en particulier, ont valorisé ce territoire en créant ces mines. Il se sent chez lui ici. Mais aujourd'hui, on est au bord de la faillite. Il manque des capitaux. La voix des travailleurs et le point de vue africain ne tarde pas à apparaître, à travers un personnage fascinant d'homme politique. Il est jeune, fringant, roule en 4X4, a des allures de justicier mais règle ses comptes comme un cow boy. Ici, tout se passe comme au far west. Cet élu défend les mineurs. Il fait tout pour que les Katangais obtiennent des mines qu'ils puissent exploiter eux-mêmes. Il est écouté et respecté, il règle les conflits et s'est rendu indispensable dans tous les choix politiques et économiques de la région. Lui-même est devenu propriétaire de mines. Par quel moyen, quel rapport de force ? On ne sait pas s'il est honnête ou voyou. C'est un robin des bois au parler sûr, avec son fort accent congolais. Ambition personnelle ou lutte nationale, le personnage fascine et le réalisateur ne tranche pas vraiment cette ambiguïté. Il n'empêche : dans ce film, la première chose que l'on retient, c'est que les Noirs se font exploiter par les Blancs et que cela n'a pas changé. Arrive le troisième protagoniste de cette histoire bien réelle : l'investisseur chinois. C'est à la fois drôle, parce que c'est l'occasion de dialogues de sourds et de négociations assez croustillantes (notamment dans une scène où le leader katangais remet à sa place l'investisseur chinois : la salle du cinéma Nerwaya au Fespaco a applaudi !), mais angoissant également. Peu à peu, les Chinois rachètent les mines du Katanga. Ils négocient dur avec les revendeurs katangais, on le voit dans plusieurs séquences de cinéma direct. Mais s'attaquent également au capital des grandes firmes, négocient avec les européens. Qui ont besoin de cet argent frais pour survivre. C'est exactement ce que montre le film : comment, malgré la réticence des Katangais, qui sentant le pouvoir des Belges s'affaiblir, ont espéré une reconquête de leur terre - si féconde et si riche -, sont en train de se faire tout simplement damer le pion par les investisseur chinois. La démonstration est magistrale, les personnages sont forts. Personne n'est vraiment sympathique dans cette histoire. Ce sont des milieux durs, industriels. Les calculs financiers, incarnés par la venue -assez ridicule - d'experts internationaux aussitôt remontés dans leurs petit jet, se juxtaposent avec une réalité sociale faite de misère et de labeur : perdre un boulot de mineur pourtant dur est pire que tout. Les campagnes sont misérables. Ce qui contraste avec la richesse du sous-sol et l'utilisation mondiale qui est en faite sans beaucoup de scrupules humains. Thierry Michel restitue toute cette complexité et raconte dans Katanga business une histoire bien plus vaste, qui est celle du continent africain : prélevé dans sa chair par les colons européens, et malgré la rébellion et la colère des katangais, il est en train de passer aux mains des investisseurs chinois, dont les méthodes sont différentes. Plus de paternalisme ! - comme le rappellent quelques extraits d'actualité emprunté aux archives belges, savoureux morceaux de bravoure colonialistes - mais des rapports durs en affaire, une incompréhension de fond, une inquiétude profonde, un avenir très incertain. La dernière séquence du film nous promène au dessus des mines en hélicoptère, mais cette fois, nous ne sommes plus avec le Belge, mais en compagnie du nouveau patron, un Chinois. C'est un phénomène qui ne concerne pas uniquement le Katanga. Mais à travers l'étude de cas du Katanga, le réalisateur belge a montré que la géopolitique n'est pas une mince affaire. Et ce n'est pas fini. Clap Noir, Caroline Pochon, avril 2009 retour |