Après Mobutu, roi du Zaïre et Congo River, Thierry Michel poursuit son exploration africaine et nous entraine au Katanga, en République Démocratique du Congo ; dans ce nouvel eldorado des temps modernes, se dessinent, à coups de milliards de dollars, les nouveaux rapports économiques mondiaux Parmi ces personnages, des dizaines de milliers de « creuseurs » cherchent de quoi survivre en occupant illégalement les concessions des multinationales minières alors que les travailleurs légaux luttent pour des salaires et des conditions de travail à peine décents. Un gouverneur de province richissime et adulé par les foules, un patron belge véritable « Roi du Katanga », un PDG canadien, sorte de sorcier blanc essayant de sauver un empire industriel public tombé en désuétude, un Chinois qui vient signer le contrat minier du siècle avec l’Etat congolais : les personnages du nouveau film de Thierry Michel dessinent les nouvelles alliances stratégiques de l’Afrique. Les destins de ces personnages s’entrecroisent dans une tragi-comédie sur fond de guerre économique et sociale qui prend ici une dimension symbolique et prophétique, faisant de Katanga Business une édifiante parabole, grinçante et réaliste, de la mondialisation de ses espoirs et de ses revers les plus sombres.
Données techniques :
Une co-production :
Les Films de la Passerelle - Les Films d’Ici - RTBF - Avec l’aide du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Communauté française de Belgique et des Télédistributeurs wallons - ARTE - Wallimage - Eurimages - DGCD - PIL - ING Taxshelter - EVS Broadcast Equipment - TSR - Sundance Institute - Commission européenne - VRT Moïse Katumbi, 45 ans, fut l'un des hommes d'affaires les plus puissants du Katanga. Avant d’entrer en politique à 42 ans, il fut à la tête d'une puissante société. Il est président depuis plus de 10 ans du club de football Mazembe champion de première division. Ayant obtenu lors des élections le plus grand nombre de voix (124.000 voix de préférence) comme parlementaire national, il est devenu gouverneur de la province du Katanga. Homme politique populaire et populiste, charismatique et généreux, il est également président de la communauté Bemba. René Nollevaux est un ancien ingénieur de la mine de Kamoto à Kolwezi, la plus importante mine du Katanga. Il est arrivé au Congo en 1965, et a travaillé 9 ans dans cette mine avant de partir dans les mines au Canada pendant plusieurs années. En 2005, il est revenu au Katanga et a repris ses activités d'ingénieur des mines mais cette fois-ci comme patron. Il se donne comme défi de relancer l’activité de la mine. George Forrest est un entrepreneur belge, d'origine néo-zélandaise. Véritable patriarche de l’industrie Katangaise, on l’a surnommé « Le Vice-roi » ou le « le gouverneur du Katanga »car il n’a jamais quitté le Congo, où Il est le plus important employeur et entrepreneur. Son père s’est installé en 1922 et a fait prospérer ses affaires à l’époque coloniale. Depuis l’entreprise Malta Forrest est devenue un véritable holding international. Il fut à l’origine de Kamoto Copper Compagny, un des plus importants groupes miniers en RDC. Paul Fortin est un avocat canadien spécialisé dans les questions minières, Paul Fortin a été nommé en 2005 Administrateur Directeur Général de la Gécamines pour redresser cette entreprise publique au bord de la faillite. C’est lui qui a négocié la plupart des partenariats avec les entreprises privées. Engagé sur des fonds de la Banque Mondiale, il a été nommé par le Président Joseph Kabila. De tempérament social, il a tenu à privilégier les travailleurs. Menacé de licenciement par la société travaillant pour le compte de la banque mondiale, les travailleurs se sont mobilisés et ont fait grève pour empêcher son limogeage. Il est toujours en poste pour le compte du gouvernement congolais et jouit d’une réelle popularité. Monsieur Min - Ingénieur chinois, il parcourt l’Afrique pour le compte de son gouvernement depuis de longues années. Il vient récemment de négocier avec la Gécamines et Mr Fortin le contrat du siècle en matière minière et infrastructure. C’est l’homme des 9 milliards de dollars, censés remettre en état les principales infrastructures de l’économie congolaise, routes, voies de chemin de fer, hôpitaux, moyennant l’accès aux ressources minières. La mort au quotidien La fréquence des accidents mortels dans les mines artisanales est importante. Des creuseurs peuvent mourir sans que personne ne le sache, à l’exception de leurs proches collègues et de leur famille. Souvent, les dépouilles des victimes ne sont même pas retrouvées. Des dizaines de creuseurs sont morts ces dernières années. Les accidents mortels se produisent généralement lorsque les creuseurs font des trous, puis creusent des couloirs horizontaux, pour suivre le filon de cobalt ou de cuivre. Ceux qui restent en haut sont généralement les premiers à remarquer lorsque la terre commence à s’effriter et ils essaient alors d’avertir leurs collègues du danger – souvent trop tard L’exploitation minière artisanale aura peut-être cessé d’exister au Katanga d’ici quelques années. En effet, étant donné l’octroi par le gouvernement d’un nombre croissant de concessions aux sociétés minières, les creuseurs artisanaux sont chassés de ces mines, ce qui entraine des tensions fréquentes entre creuseurs et forces de sécurité, et parfois des affrontements. Mais certains creuseurs artisanaux chassés des concessions ont réussi à se réintroduire et ont ainsi continué à y travailler dans l’illégalité. L’explosion sociale Le secteur industriel poursuivant son développement au Katanga, les creuseurs artisanaux continueront d’être exclus par les multinationales. Le gouvernement encourage l’expansion de l’exploitation minière industrielle sans prendre de dispositions spécifiques à l’égard des dizaines de milliers de creuseurs artisanaux et personnes qu’ils ont à leur charge, qui ne disposent que d’alternatives extrêmement limitées pour assurer leur existence. Les conséquences économiques pour ces familles pourraient être graves. Thierry Michel, vous vous intéressez autant aux oubliés de l’histoire qu’à ses acteurs principaux et vous mettez en lumière à la fois les individus isolés et les destins des pays que vous visitez. En regardant vos films, ceux sur la Belgique, sur Rio, sur Conakry, sur l’Iran, sur le Zaïre, on a le sentiment que vous cherchez à embrasser dans le même temps l’infiniment petit et l’infiniment grand. Effectivement, on ne peut comprendre le macrocosme sans le microcosme. Dans un film comme Mobutu, roi du Zaïre, l’identité est évidente entre le destin personnel du maréchal Mobutu et le destin du Zaïre. Dans ce film-ci, le destin du Katanga est en filigrane, visible de manière elliptique, derrière des destins individuels et collectifs. Le microcosme, ce sont les travailleurs, les creuseurs, les damnés de la terre, et le macrocosme, ce sont les industriels, mais aussi les spéculateurs qui arrivent avec des capitaux et des valises pleines de billets, développent la région et en même temps cherchent qu’à faire des affaires et du profit. Entre ces deux univers, il y a un conflit social lié aux nouveaux modes d’exploitation, une véritable révolution industrielle avec les machines qui remplacent l’homme et le fin de l’artisanat miner. Et cela entraine nécessairement un conflit social violent avec l’émergence du salariat et du l’affirmation du syndicalisme. Et dans le même temps, entre ces forces du capital, il y a une guerre économique d’autant plus violente que les intérêts géopolitiques divergent (entre société Nord-américaines et Asiatiques, par exemple). Et en arbitre entre le conflit social et la guerre économique, il y a le politique, en l’occurrence le gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, qui est l’homme qui peut faire la jonction entre les deux. Il est le représentant du peuple, c’est-à-dire des travailleurs, des creuseurs, des congolais à qui il doit sa légitimité, et en même temps il est veut moderniser, développer sa région, attirer les capitaux et cela passe nécessairement par des alliances avec les investisseurs, d’autant qu’il est lui-même un homme d’affaires. Il tente de faire passer le cap de la nouvelle révolution industrielle à sa région. Au détriment de qui ? C’est toute la question que pose le film. Après Zaïre, le cycle du serpent, après Mobutu, roi du Zaïre et après Congo river, et d’autres films, vous vous penchez une fois encore sur l’ancien Congo belge. Pourquoi ? Avez-vous le sentiment d’être lié plus spécifiquement à ce pays ? Depuis 17 ans, je vais régulièrement au Congo. J’ai été le témoin privilégié de ce pays en plein tumulte, qui se trouve aujourd’hui au bout d’un cycle. C’est un pays qui a été le théâtre de révoltes, de pillages, de guerres, de violence sociale, un pays qui s’est effondré et qui prend aujourd’hui un nouveau chemin. Nul ne sait où il aboutira. Par ailleurs, le Katanga, c’est comme un retour sur les lieux miniers de mon enfance, que j’ai filmés étant jeune, notamment avec Mines, pays noir, pays rouge, Chronique des saisons d’acier. Au Katanga, après l’épopée industrielle coloniale, avec ses traditions syndicales, puis la déliquescence sous Mobutu, il y a aujourd’hui l’émergence d’une seconde épopée industrielle où se croisent les destins des travailleurs, des grands patrons, des politiques. Tandis qu’en Belgique, dans les années soixante-dix, j’avais filmé la fin d’une ère industrielle. Au Katanga, cette renaissance industrielle est d’autant plus importante que la région est un coffre-fort de matières premières et se trouve, pour cette raison, au centre de la mondialisation. J’ai voulu concrétiser cette épopée très cinématographique avec des personnages, des destins. Tout le contraire d’un documentaire socio-économique. Dans Katanga business, vous mettez en jeu l’homme modeste face aux grandes entreprises. Pensez-vous que le Katanga d’aujourd’hui soit un laboratoire pour approcher la mondialisation ? Et pensez-vous que mondialisation implique une nouvelle forme de lutte des classes ? Il y a au Katanga une double lutte. Il y a une lutte des classes entre le capital et le travail et il y a un conflit d’intérêts entre les multinationales. Il y a donc deux guerres, une guerre sociale et une guerre économique. Mais le paradoxe est que le Katanga peut renaître grâce à cette situation, à ces investissements. C’est comme une sorte d’accouchement dans la douleur, de renaissance dans la violence et les tumultes. Il est aujourd’hui au centre des préoccupations de nombre de pays, l’Inde, les États-Unis, le Canada, la Chine, etc. Par ailleurs, il faut distinguer entre le capitalisme d’État, qui peut agir vite car il en a les moyens financiers, et le capitalisme boursier qui est tributaire de son actionnariat, ce qui implique une temporalité plus longue. Le capitalisme d’État, on peut citer la Chine, a une politique globale cohérente pour toute l’Afrique, et cherche à se doter de matières premières. Qu’est-ce qui vous a mis sur la piste de ce film ? J’avais filmé, avec Congo river, la déliquescence de l’économie. J’avais rencontré des creuseurs. Or il se fait que la désastreuse gestion sous Mobutu, qui avec la nationalisation des mines et la prédation systématique a mis par terre l’économie katangaise, a eu l’effet de préserver les richesses du sous-sol, lesquelles sont aujourd’hui à nouveau convoitées avec le retour des investisseurs à l’occasion de la démocratisation du pays. Au début, c’étaient plutôt des mafias qui spéculaient et organisait le trafic illégal de minerais, mais avec le temps, ce sont de véritables sociétés qui ont commencé à investir dans la province. C’était pour moi l’occasion de faire une parabole sur les mécanismes économiques, sur les rouages entre la microéconomie et la macroéconomie. Côté congolais, il y a les creuseurs artisanaux condamnés à être expulsés des concessions et les travailleurs qui ne savent pas très bien si c’est dans leur intérêt de marcher main dans la main avec les patrons. Côté patrons, il y a trois types d’investisseurs : les sociétés privées, l’État congolais et les États étrangers dont principalement la Chine et l’Inde. Ils se retrouvent sous la bannière du personnage le plus important après le président de la République, à savoir le gouverneur Moïse Katumbi. C’est d’autant plus vrai que le Katanga est un État dans l’État, qui grâce à sa richesse minière peut survivre sans le Congo, alors que l’inverse n’est pas vrai. Moïse Katumbi est un personnage flamboyant, charismatique, moderne. Il rappelle Berlusconi par son populisme, son sens de la communication, et parfois Hugo Chavez par la manière dont il défend son peuple, et dans le même temps, c’est un homme d’affaires, immensément riche, qui a de l’autorité, ne pratique pas la prédation systématique et dirige sa province comme une entreprise privée. C’est tous ces personnages que j’ai voulu confronter les uns aux autres, dans l’idée de faire une saga industrielle, une parabole économique. Comment avez-vous construit ce film ? J’ai seulement posé des fondations, mais je n’avais pas écrit un réel canevas avant le premier tour de manivelle. Du reste, le réel est toujours plus fort que tout ce que l’on peut imaginer. C’est ce qui donne la force au documentaire, qui montre le monde à la fois sous l’aspect de la tragédie et sous l’aspect de la comédie humaine. C’est par ma longue présence au Katanga et par ma carte de visite comme réalisateur de films très connus au Congo comme « Mobutu, roi du Zaïre » et « Congo River » que j’ai réussi à convaincre les grands patrons d’accepter de devenir personnages de mon film. Bien sûr, comme dans tout film, il y a un rapport de forces qui s’instaure, une sorte de jeu de chat et souris. Chacun essaie de se montrer sous son beau jour et instrumentaliser le cinéaste. Et moi, à mon tour, je cherche à instrumentaliser les acteurs. J’ai voulu, par exemple, montrer chez le gouverneur à la fois sa bonne gouvernance, mais aussi ses contradictions, ses ambivalences. C’est du reste ce qui lui donne sa dimension humaine. Chacun essaie de tenir son rôle et moi je dois essayer de percer les secrets, la langue de bois et les attitudes convenues. On a essayé de m’interdire de filmer certaines choses, mais sans acharnement, parce que je suis devenu incontournable au Congo. Parfois on taisait les informations pour que je ne sois pas au bon endroit au bon moment, mais je finissais toujours par les recevoir. Il m’est arrivé, pour des raisons de tracasseries, d’intimidations, d’obstruction, d’arriver trop tard à certains endroits, mais en règle générale, grâce à mon équipe congolaise et à mes réseaux nous pouvions contourner ces obstacles. Souvent, il faut passer par de longues palabres pour arriver à ses fins. Mais j’ai aussi des remparts. Par exemple, lors d’une grève, mon arrivée a été mal vue par les autorités, car les télévisions locales de couvraient pas ce mouvement social. Mais une fois que j’étais sur place, au coté des grévistes, il était quasi plus difficile de m’interdire de filmer que de me laisser faire. On m’a donc laissé faire. Le plus difficile dans la dramaturgie du film fut de mettre ensemble cette mosaïque de destins. Mobutu est en lui-même un personnage, à la fois moliéresque et shakespearien. Mais pour « Katanga Business » j’avais une constellation de personnages que je devais mettre en scène, des personnages qui sont entre eux dans une relation triangulaire : les travailleurs, les patrons, et le pouvoir politique, représenté par le gouverneur, qui en est la clé de voûte. Enfin, j’ai étayé le film avec des images d’archives, sur l’époque coloniale et sur les nationalisations de l’ère Mobutu, afin de donner à voir les ressacs de l’histoire et de fournir une clef de compréhension historique. Ce n’est pas un film historique sur le Katanga, mais une dramaturgie cinématographique sur les enjeux socio-économiques de cette région. Votre film Katanga business est autant un film sur le présent que sur l’histoire de cette région. Pensez-vous que l’histoire du Katanga éclaire le Katanga d’aujourd’hui ? Et quel est le Katanga d’aujourd’hui ? La province et la mentalité katangaise ont été façonnées par l’industrialisation. Le Katanga est différent du reste du pays. La culture industrielle autant que la culture syndicale y date de l’époque coloniale qui à la fois développé et exploité le pays. L’ère du Président Mobutu, qui a suivi les tumultes de l’indépendance, a vu le naufrage de l’héritage colonial, c’est-à-dire des infrastructures, les routes, les chemins de fer, les industries, les écoles, le système sanitaire. La culture des investisseurs actuels est très différente. Si les Belges sont restés plutôt paternalistes, les patrons Anglo-saxons qui débarquent ont une culture plus radicale, plus violente mais aussi plus vigilante et plus exigeante sur les règles de sécurité et plus soucieuse de son image et de l’impact de cette image sur la Bourse. Les Congolais ont parfaitement compris ces différences, ils savent qui est qui. Le code minier oblige les entreprises à fournir certaines garanties sociales et les sociétés sont en général soucieuses de l’image qu’elles donnent, d’un point de vue social, mais aussi d’un point de vue environnemental. Du reste, le poids des ONG, leur force de lobbying, de critique, d’observation et de dénonciation est telle qu’une multinationale doit faire plus attention qu’une entreprise familiale. Maintenant, il y a toutes sortes de patrons : des mafieux, des affairistes, des paternalistes, des patrons corrects. Quant aux Chinois, c’est encore une autre culture. Ils sont soucieux des droits syndicaux et des conditions de travail. Mais le personnel chinois n’ayant pas les privilèges des travailleurs belges ou anglo-saxons, le travailleur chinois est de fait plus proche du travailleur congolais, dont il partage les conditions de vie. Entre les divers personnages de votre film, des relations complexes se nouent. C’est la figure du gouverneur Moïse Katumbi Chapwe qui ressort, comme l’homme qui doit faire le trait d’union entre les creuseurs et les investisseurs, entre un développement social et une exigence économique de développement et d’investissement. Comment l’avez-vous rencontré et quelle fut son attitude devant votre initiative ? On a beau s’appeler Thierry Michel, on a beau avoir un carnet d’adresses rempli de noms de ministres et de personnages haut placés, on a beau jouir d’une aura due à plusieurs films sur le Congo, dont Mobutu, roi du Zaïre, on peut toujours être au Congo l’otage des circonstances ou d’un fonctionnaire trop zélé. Je me réveille un matin dans un petit hôtel sans eau, j’attends un rendez-vous qui ne vient pas parce mon interlocuteur est dans un “rendez-vous”, comprenez un embouteillage de camions pris dans les boues dues aux pluies. Puis je pars à la recherche des tampons, ces autorisations de filmer. L’agent en profite pour me raconter toutes ses misères, le téléphone coupé, ses fins de mois difficiles. Quand tout va bien, j’obtiens le tampon parfois grâce à un “matabiche”, mais comme on dit « tout travail mérite salaire ». Quand cela va moins bien, on me soupçonne d’une tentative de meurtre commis la veille sur un syndicaliste dans la ville minière, histoire de me déstabiliser. Lorsque j’ai obtenu les tampons nécessaires, il faut encore convaincre les militaires aux barrières que les autorisations sont valides. Puis j’arrive sur le lieu d’une grève dont j’ai été informé par les syndicats. La police anti-émeute tente de m’interdire de filmer la violente répression dont sont victimes les travailleurs. Je m’insurge, résiste et finit par appeler le gouverneur sur son portable pour lui demande si démocratie rime bien avec liberté de la presse. Quelques jours plus tard le gouverneur visite une usine. Il est surpris par la colère contre les bas salaires. Il arbore un grand sourire séducteur, parle aux ouvriers, calme leur courroux. Il me propose d’assister au prochain conseil des ministres. L’ordre du jour du conseil change en fonction de ma présence. “Si vous voulez que l’on parle des contrats avec les Chinois et de la revisitation (renégociation des contrats miniers entre l’État et les investisseurs), on le fera.” L’occasion est trop belle pour le gouverneur de montrer qu’il a à cœur le développement de sa région. Mais une semaine plus tard, je le filme devant des ouvriers licenciés, auxquels il ne peut que proférer des promesses abstraites et des appels au calme. Le gouverneur est l’homme du compromis entre les ouvriers et le patronat, entre le travail et le capital. Premier gouverneur à avoir été élu démocratiquement, Katumbi est riche et veut initier au Katanga un peu de modernité politique, de démocratie, de morale et booster le développement économique. Sa popularité dérange le pouvoir central de Kinshasa. Depuis qu’il a échappé à un attentat, et que son avion a du se poser en urgence en Afrique du Sud, il se déplace de plus en plus en véhicule blindé. Président du club de football local, il est un véritable dieu. Mais il doit compter avec les investisseurs, notamment le Chinois Monsieur Min. Ce dernier est un homme pragmatique, soutenu par son gouvernement. Il peut se permettre d’offrir la réfection d’une route pour acheminer les minerais par camions vers les ports d’Afrique du Sud. Il goûte moins que les politiques la joie d’être filmé. Mais à force de persuasion, j’arrive à lui faire accepter l’idée de participer au film. Vous nous donnez l’impression aux travers de vos films de ne pas aimer les sentiers battus. Vous évitez soigneusement de juger les gens que vous filmez et vous ne tombez jamais dans le manichéisme. Est-ce un choix ? Oui. C’est un choix éthique. Il ne faut pas réduire le monde. Le documentaire est là pour élever la conscience des gens, leur capacité critique, leur regard sur le monde. Le monde est ambivalent, complexe. L’histoire n’est pas en ligne droite, mais en ligne brisée. Souvent la courbe est le chemin le plus court pour arriver d’un point à un autre. Le manichéisme est une réduction totale et une manière d’infantiliser le spectateur. Certes, il faut dénoncer les violences sociales, mais toujours en les replaçant dans leur contexte. Chacun a sa logique. Il faut montrer les gens dans leur logique. Même les islamistes les plus radicaux ont leur logique. Chacun a son destin. C’est vrai aussi pour les événements historiques. La Révolution française est une avancée considérable en termes de droits de l’homme, mais que de décennies sacrifiées en comparaison avec l’évolution de l’Angleterre à la même époque ! Dans Katanga business, je ne juge pas. Je fournis les éléments qui permettent de faire une approche critique de la situation. Si j’étais dans l’utopie, je donnerais des réponses. Mais je ne connais pas les réponses. Nationaliser les industries ? On en sort a peine. C’était une catastrophe. Il ne faut pas oublier que le film est destiné autant aux Européens qu’aux Congolais. Et les Congolais ont à gérer leur avenir, en sachant qu’ils ont besoin des capitaux étrangers. Et donc, la négociation entre l’État, les forces sociales, les grandes multinationales et le capitalisme d’État venu de la Chine est difficile à gérer. C’est une grande partie d’échecs où chacun avance ses pions. La grande utopie du socialisme qui était la mienne dans ma jeunesse ne peut malheureusement pas tout résoudre. Il suffit de s’apercevoir que la chute récente des prix des matières premières entraîne un désinvestissement des exploitants au Katanga qui attendent la remontée des cours des métaux. Même si leur retrait actuel avec arrêt de la production est aussi un simulacre, une manière de chantage pour obtenir la renégociation de parts de marchés. Il y a actuellement un bras de fer avec l’État congolais, dans une logique parfaitement capitaliste. En regardant vos films, et c’est vrai pour celui-ci encore plus que pour les précédents, on a le sentiment que vous laissez parler les événements sans intervenir. Cela donne un saisissant paradoxe : tantôt on a l’impression que vous êtes terriblement pessimiste, tantôt celle que vous croyez encore à l’avenir de la République Démocratique du Congo. Entre larmes et sourire, tranchez-vous ? Non, parce que l’histoire n’est pas terminée. Le pays est à un tournant de son destin. Le Congo est un jeune État qui sort des ténèbres après quatre décennies de dictature et cinq décennies de colonisation. Il ressent des convulsions, des secousses, mais en même temps, et surtout au Katanga, c’est une région très riche de son sol et de son sous-sol. Tout est là pour que cela puisse réussir. Mais il ne faut pas rater les tournants de l’histoire. Alors, quelle est la capacité de maturité politique du peuple congolais ? Il a bien analysé son histoire, ses échecs et ses rendez-vous manqués. Mais il est face aujourd’hui à un destin qui n’est pas facile. Quelle sera la capacité des élites politiques à rompre, à la fois avec la culture coloniale paternaliste, mais aussi avec la culture prédatrice du pouvoir postcolonial et avec certaines traditions africaines qui empêchent le développement. Il y a une jeune génération, dont le gouverneur Moïse Katumbi est le meilleur représentant, qui n’a plus de comptes à régler avec l’histoire, qu’elle soit coloniale ou indépendantiste. Elle est l’espoir de renouveau du pays. Mais le Congo n’est pas un îlot isolé, il est pris dans le maelström de la mondialisation, dans ses marées, ses flux, ses reflux. Il me semble qu’il y ait un dynamisme aujourd’hui, qui s’affirme aussi lors des mouvements sociaux. Mais je ne peux pas prédire l’avenir. Thierry Michel, vous êtes quelqu’un qu’on ne présente plus. Vous avez derrière vous un long passé de réalisateur. Depuis quand faites-vous du cinéma et qu’est-ce qui vous pousse à en faire ? Le cinéma, c’est l’attrait de l’image comme mode d’exploration du monde, comme mode de découverte, d’immersion dans l’histoire des hommes, de leurs tumultes, de leurs passions de leurs révoltes, de leurs conflits. J’ai commencé le cinéma très jeune, par la photographie d’abord. Je photographiais le Pays noir, celui de mon enfance, dans la région de Charleroi. Puis, j’ai découvert de grands films comme La Strada, L’homme au crâne rasé, Un condamné à mort s’est échappé. Je me suis alors senti dans l’urgence de devoir faire de la fiction et du documentaire, dans une quête d’identité en même temps qu’une quête de l’autre. Aujourd’hui, je fais surtout du documentaire, ce qui est une manière d’être témoin, d’être dans un engagement humaniste, dans une quête de la différence plus que de l’identité. En montrant des visages et des paysages, le cinéma laisse transpirer la chair, la sueur, le sang et permet d’appréhender les cultures et les sociétés. Il est un lieu où l’on peut se poser les questions essentielles des hommes, celles de la vie, de la mort, dans une quête spirituelle. Avec mai 1968, le cinéma est devenu un lieu d’engagement et de témoignage. Avec la maturité, l’on dépasse le manichéisme du militantisme. Je cherche à présent l’ambivalence et la complexité du monde, je cherche à comprendre les ressorts profonds qui traversent les sociétés de manière souterraine derrière l’apparence de l’actualité. Quand je traite certains personnages, j’en cherche la part cachée, la part de non-dit, les fêlures. C’est une manière d’anthropologie par l’image, qui est éminemment politique, même si apparemment les sujets traités ne sont pas nécessairement politiques. Et après avoir dans de nombreux films approché des thématiques sociales, humanitaires ou des paraboles sur le pouvoir politique, j’ai voulu questionner l’économie, ses rouages, ses logiques, et cela au cœur d’une des plus riches provinces minières du monde le Katanga en pleine nouvelle révolution industrielle. Le Congo C’est à la Conférence de Berlin, en 1885, que l’immense Congo (plus de quatre fois la superficie de la France) échoit au roi des Belges Léopold II, qui le nomme État Indépendant du Congo (EIC), puis, par testament du roi (1908) à la Belgique. Il devient alors le Congo belge, jusqu’à son indépendance en 1960. Il prend quelques années plus tard le nom de Zaïre, déformation de Nzere, fleuve. Après la chute de Mobutu, en 1997, il devient République Démocratique du Congo. Son président actuel est Joseph Kabila. Les estimations de la population du Congo sont très variables lorsque l’on remonte dans le temps. Les chiffres les plus couramment avancés sont 13 millions en 1885, 12 millions en 1960 et 66 millions aujourd’hui. Le Katanga Le Katanga, grande province du sud-est, presque le quart de la superficie de la RDC, est un haut plateau continental. Les trois principales villes, Lubumbashi (anc. Élisabethville), Likasi (anc. Jadotville) et Kolwezi, se trouvent au sud, près de la frontière avec la Zambie. La population est aujourd’hui de 8 millions d’habitants. Grâce à ses minerais, la région est la plus riche du pays, du continent et du monde. Le géologue belge Jules Cornet a parlé dès son arrivée en 1892 de scandale géologique. Fer, cobalt, cuivre, germanium, étain, uranium, or, zinc et d’autres richesses y abondent. Le cuivre était le symbole même de la région et de sa richesse. Les croisettes de cuivre, jalousement gérées par les mangeurs de cuivre, servaient de monnaie d’échange. C’est l’expédition de William Grant Stairs en 1891 qui, en assassinant M’Siri, mettra fin à ce royaume et marquera le véritable début de la colonisation du Katanga. En 1909, à la mort du roi Léopold II, commence la colonisation par l’État belge. Les ressources minérales du Katanga sont immédiatement exploitées, grâce à une main d’œuvre importée des régions et pays voisins. La mine de l’Étoile commence sa production de cuivre dès 1911. Plus d’une centaine d’autres mines naîtront peu après, presque toutes autour des trois grandes villes du sud : le cobalt est produit dès 1920 et l’uranium l’année suivante. Élisabethville devient le siège de l’Union Minière du Haut-Katanga (UMHK), de la Compagnie nationale des chemins de fer congolais (CNCC) et du groupe Forrest. Durant trente années, les infrastructures mises en place sont très considérables, en termes d’investissements industriels comme en matière de système social de santé et d’éducation. Avec une prise de conscience par les Congolais de la réalité coloniale, les mouvements sociaux ne tarderont pas à agiter l’ensemble du pays. Au Katanga, c’est lors de la Seconde Guerre mondiale que des licenciements jumelés avec l’effort de guerre imposé par le colonisateur belge au peuple congolais conduiront à des affrontements sociaux durs dans toute la région, comme la grève de 1941, à Élisabethville, qui fut matée et s’est soldée par une soixantaine de morts, tous dans les rangs des ouvriers. Par ailleurs, la mine de Shinkolobwe, près de Likasi, fournira l’uranium nécessaire à la fabrication des deux bombes atomiques lancées sur Hiroshima et Nagasaki. À la fin des années quarante, à l’instar de ce qui se passe dans d’autres régions d’Afrique, les esprits s’éveillent à l’idée de l’indépendance. En 1948, au Kasaï et au Katanga, éclate une révolte indigène contre les transferts de main-d’œuvre. On peut parler de naissance d’un prolétariat dans ces deux provinces, avec prise de conscience de classe. L’indépendance du pays sera obtenue en 1960. Presque au même moment, sous l’impulsion de son gouverneur Moïse Tshombe et avec le soutien des milieux d’affaires pro-occidentaux, le Katanga tente une sécession, contre l’unitarisme congolais prôné par Patrice Lumumba, premier ministre et par le président Joseph Kasa-Vubu. L’aventure s’achèvera trois ans plus tard, dans le sang. Après sa prise de pouvoir par coup d’État en 1965, le maréchal Mobutu procède à une “zaïrisation” du pays, changeant systématiquement presque tous les noms chrétiens par des noms locaux. Le Katanga est rebaptisé Shaba, qui veut dire cuivre en swahili. L’Union Minière du Haut Katanga fleuron industriel de l’époque coloniale est nationalisée sous le nom de Gécamines (Générale des carrières et des mines) . C’est le début du déclin de la production minière du Katanga. La corruption, les détournements, le népotisme laisseront trente ans plus tard, à la chute de Mobutu, un squelette d’entreprise, que tentent de faire survivre quelques travailleurs isolés. Les réseaux routier et ferroviaire, le système de santé et toutes les infrastructures annexes subiront le même sort, tant au Katanga que dans le reste du pays. Sous le règne de Mobutu, de nombreux troubles secoueront le Katanga. Insurrections indépendantistes, comme l’occupation de Kolwezi, en 1978, par des mercenaires angolais soutenus par Cuba, et réduite par une coalition de troupes belges, françaises et américaines sous l’égide de l’ONU. Le multipartisme imposé par l’Occident signera le début de la fin de Mobutu, contraint d’accepter la présence d’une opposition. Une rébellion armée balaie tout le pays d’est en ouest. Le règne de Mobutu s’achève tristement en 1997. Affaibli par la maladie, bouté hors de son pays par Laurent-Désiré Kabila, le dictateur fuit au Maroc. Le pays qu’il laisse est totalement exsangue, désarticulé, ruiné, abattu. Kabila s’autoproclame président er rebaptise le Zaïre, République Démocratique du Congo. En raison de ses richesses minières le Katanga survit mieux que d’autres provinces du Congo à ce désastre. La Gécamines, après une tentative infructueuse de redressement par un homme d’affaires zimbabwéen, finit cependant dans la déroute la plus complète. C’est le temps de la privatisation de l’entreprise publique nationalisée qui sera soldée morceau par morceau aux multinationales minières occidentales. Kabila est assassiné en janvier 2001 par son garde du corps. Son fils Joseph lui succède. Et remporte les premières élections démocratiques de l’histoire du pays en 2006. L’arrivée d’investisseurs asiatiques et particulièrement des Chinois ravive les concurrences industrielles. C’est aussi le début d’un timide renouveau pour la Gécamines, qui se poursuit avec la nomination à sa tête d’un juriste canadien, Paul Fortin. En février 2007, un brillant homme d’affaires métis, Moïse Katumbi Chapwe, un des personnages centraux du film de Thierry Michel, devient le gouverneur de la province. Le défi consiste à sauver économiquement cette région riche, en séduisant les investisseurs d’une part et en assurant une protection sociale des travailleurs d’autre part. L’Etat central décide de revisiter c’est à dire renégocier les contrats miniers accordés aux multinationales. C’est sur ce renouveau du Katanga que se penche Thierry Michel. La chute toute récente des prix des métaux (cuivre et cobalt) due à la crise mondiale qui vient de se déclencher replonge le Katanga dans l’angoisse et le sous-emploi. Interview Par Freddy Mulumba Kabuayi « Le Congo va se développer si les forces politiques bâtissent un Etat fort» Avec son film sur la renaissance du Katanga, Thierry Michel n'en est pas à sa première tentative de nous donner à voir la RDC, par l'étonnement : en 1990, un portrait de "roi" (Mobutu), récemment Congo River donnait une vision extraordinaire du fleuve mythique de l'Afrique. Cinéaste belge, Thierry Michel porte un regard d'historien sur les événements qu'il filme. Ce qui l'intéresse, c'est de sentir l'Histoire qui s'écrit, les forces en présence. Né à Charleroi en Belgique, dans une région industrielle surnommée « Le Pays Noir », réaliser un film dans une région minière au Congo n'est pas une découverte pour lui. Déjà au bassin minier et sidérurgique de son enfance, Thierry réalise ses premiers films documentaires « Pays Noir, Pays Rouge » et « Chronique des Saisons d'Acier ». Il nous retrace les grandes lignes de son prochain film sur le Katanga. Interview. Après la réalisation de quatre films, vous êtes de retour en RDC. Qu'est-ce qui vous amène cette fois-ci dans ce pays presque ruiné, exploité et pillé ? Je suis venu cette fois pour découvrir une province que je connaissais pour l'avoir filmé depuis une quinzaine d'années, mais sans jamais y consacrer vraiment un travail approfondi : c'est le Katanga. Je pense que le Katanga est le cœur économique de la République démocratique du Congo ; c'est la province qui a toujours suscité tout l'intérêt, toute la convoitise de ce pays ; c'est par le monde l'une des provinces les plus riches en minerais hautement importants pour le développement et l'industrialisation de nombreux pays comme le cuivre, le zinc, le cobalt, mais aussi minerais hautement stratégiques tel évidemment l'uranium. Mais, au-delà de tout ceci, c'est une province minière. J'avais envie de réaliser un film sur une province minière. Il faut retenir que je suis né au Sud d'une province minière : Charleroi en Belgique. C'est le secteur que j'admire beaucoup depuis que j'étais étudiant, et j'ai commencé ma carrière sur le secteur minier. Je suis revenu à mes premières émotions. J'aime ce monde industriel et surtout le monde minier. Ce qui m'a intéressé aussi de plus, c'est qu'aujourd'hui au Katanga se joue une partie essentielle de la mondialisation. C'est dans cette province qui regorge des richesses, qui est un véritable scandale écologique aujourd'hui, que se mène une guerre économique redoutable. Entre non seulement les grandes compagnies minières internationales et multinationales des minerais, mais aussi de grandes puissances. On voit bien aujourd'hui comment s'affrontent les intérêts nord-américains, mais aussi asiatiques, principalement la Chine, qui est montée en puissance, d'une manière extraordinaire en très peu de temps au Katanga. Il y a aussi l'Inde qui avait pris déjà une position assez forte, mais qui est en train d'arriver aussi de manière extrêmement importante. Par rapport à ma cinématographie, à l'ensemble de films que j'ai réalisés, j'ai traité de beaucoup de choses sur des questions humanitaires, sociales ; des questions politiques. Mobutu, c'est une parabole sur l'ivresse du pouvoir, sur le mécanisme de passation des pouvoirs politiques, sur la déperdition politique. Je voudrais ici faire une parabole sur l'économie. Et j'ai trouvé que des enjeux économiques étaient redoutables au Katanga, où se mène à la fois une double guerre. J'ai estimé qu'au Congo aujourd'hui il y a la guerre civile dans certaines régions de l'Est du Kivu et de l'Ituri avec des problèmes non encore résolus, des résidus de la guerre. On peut dire que le Katanga est toujours une province qui vit dans la paix civile. Mais, il mène à la fois cette guerre économique, mais aussi une guerre sociale, dans ce sens que c'est une province qui regorge de richesses nationales les plus importantes. Reste aujourd'hui une misère profonde de la population où plusieurs centaines de personnes sont obligées d'aller gratter la terre à mains nues comme à l'âge de la pierre taillée, s'enfoncer dans les entrailles de la terre dans les galeries qui ne sont absolument pas sécurisées et qui s'effondrent régulièrement, pour essayer d'assurer la subsistance de leurs familles. Le dernier aspect, c'est la renaissance. La renaissance africaine, la renaissance congolaise, la renaissance de toute une province. Aujourd'hui, le Katanga vit une véritable révolution industrielle. Paradoxe de l'histoire, très peu de pays - je n'en connais pas - ont vécu des révolutions industrielles. Puisque le Congo avait vécu sa révolution industrielle à l'époque coloniale sous l'égide évidemment d'une société aussi puissante que l'Union minière du Haut Katanga qui, bien sûr, était une société privée, un monopole belge, mais avait mis en valeur des infrastructures industrielles de cette province. Et, tout ce patrimoine hérité en 1960 à l'aube des indépendances, s'est malheureusement complètement effondré par la mauvaise gestion, par la prédation, par tout le mal congolais que l'on connaît.Cette production qui était extrêmement importante de 460.000 à 480.000 tonnes a sombré vers 12.000 tonnes, et a mis toutes ces familles, toute cette génération de la Gécamines, toute cette culture industrielle, tous ces milliers de travailleurs dans le désarroi, dans la détresse, au chômage. Aujourd'hui, - et c'est important - la démocratie, un certain Etat de droit fait que, arrivent de quatre coins du monde des investisseurs pour faire renaître cette province. Mais, dans cette guerre économique, chacun essaie d'avoir le plus beau morceau du gâteau pour ses propres intérêts. Mais, cela contribue au développement de la province. J'ai essayé de m'attacher à des personnages parce que l'histoire se fait aussi par les gens qui la font et par les personnages qui la font. C'est le quatrième tournage que je fais et j'ai encore passé deux mois. Si je cumule toutes les périodes passées, j'ai passé cinq mois au Katanga pour essayer de filmer cette province en mutations, et de m'attacher à des personnes-clés de cette révolution industrielle : de grands industriels, de grands patrons de la Gécamines, le gouverneur de la province évidemment qui est un homme déterminant de cette mutation, et bien d'autres personnes. Mais, je me suis aussi attaché non seulement aux macroéconomiques, à ces grands décideurs, à ces grands gestionnaires, mais aussi au destin de ces petits creuseurs qui essaient de survivre jour par jour et dont on a filmé parfois la mort. Puisque certains d'entre eux ont été ensevelis pendant la période où nous étions là ; d'autres ont été tués par balles lors de la répression des manifestations ; nous avions aussi été présents quand des travailleurs de la Gécamines ont été blessés lors des accrochages avec les forces de l'ordre. C'est toute cette convulsion d'un accouchement. Il est douloureux mais indispensable à la renaissance d'une province et ça ne se passe pas sans mal. C'est normal. Toute révolution industrielle a toujours été violente. C'est dire qu'en Belgique aussi, à l'époque de la révolution industrielle, quand les artisans ont été dépossédés de leur travail par l'industrialisation, la machine remplaçant l'homme a mis des milliers de gens en Europe au chômage. Il y a eu des révoltes. Ce n'est pas un phénomène typiquement africain. Une mutation où l'on passe de l'artisanat à l'industrialisation, demande toujours un laps de temps. Que l'industrialisation fasse son temps ; qu'elle génère toute sa richesse, qu'elle se développe. Que des gens perdent leur emploi, cet enjeu historique, un enjeu qui dépasse l'Afrique. On est dans l'histoire universelle. Mais, au-delà de l'industrialisation, de la mutation, il y a énormément de dégâts sur le plan écologique ? Bien sûr. Evidemment, le problème du Congo est un peu complexe. Quand tout d'un coup, toutes les forces capitalistes du monde viennent se concentrer pour développer une province, elles le font d'abord pour les intérêts des actionnaires. C'est bien normal. C'est la règle de l'économie mondiale, de la loi du marché et du capitalisme. Nous ne sommes pas au Congo dans une économie socialiste, mais bien dans une économie capitaliste. Cette dernière peut vite virer vers un impérialiste brutal et sauvage, quasi-féodal parfois. D'où, il faut des règles. C'est pourquoi, il faut un Etat qui garantit les règles de bonne gouvernance, de fiscalité, environnementales, de redistribution sociale… Nous sommes évidemment dans un Etat qui se reconstruit. Donc, l'Etat est faible face à ces forces économiques, mais l'Etat se reconstruit. Je pense qu'on doit tirer des leçons de tout ce qui se passe aujourd'hui au Katanga pour modifier la situation, modifier la législation. Il faut que cette province qui est un Eldorado redevienne le cœur de l'Afrique, la province la plus riche de l'Afrique. On parle aujourd'hui de l'Afrique du Sud, d'accord. Mais, n'oubliez pas qu'en 1960, le Katanga était plus riche que l'Afrique du Sud. Les gens partaient de l'Afrique du Sud pour se faire soigner dans des hôpitaux du Katanga. Mais, la situation va redevenir comme elle était avant. Le Congo va se développer si les forces politiques bâtissent un Etat fort. Il faut sortir d'un marasme économique où l'économie est essentiellement informelle. Dans ce cas, la corruption est devenue presque institutionnelle. Depuis l'époque de la République du Zaïre et même aujourd'hui la République démocratique du Congo, la corruption est devenue un cancer généralisé. Il faut sortir de cette situation, de ces vieilles habitudes, de cette mentalité prédatrice pour rentrer aujourd'hui dans les règles d'une économie libérale internationale régularisée par un Etat. C'est, à mon avis, un processus que le Congo est en train d'amorcer. Mais, avec des convulsions difficiles. C'est un accouchement difficile. N'êtes-vous pas un cinéaste de l'image sombre du Congo puisque vos films ne montrent que le côté négatif de ce pays : Mobutu roi du Zaïre, Congo River… aujourd'hui vous montrez toute l'anarchie de l'exploitation des minerais par les multinationales au Katanga, avec des contrats léonins. Voulez-vous immortaliser cette image négative du Congo dans vos films ? Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous affirmez que mes films ne montrent que des images négatives. Je pense que dans Congo River ce n'est pas le cas. Bien sûr que mes films des années 90, vers la fin du règne de Mobutu, il était normal de montrer la déliquescence de tout un grand pays d'Afrique. Je pense maintenant, depuis Congo River, avoir amorcé la renaissance de tout un pays. Vous pouvez prendre un extrait de ce film, ce train qui immobilise les agents de la SNCC à Kisangani des mois durant pour construire le chemin de fer et relancer la voie ferroviaire, sans les payer. Vous pouvez prendre beaucoup de séquences, notamment les discours de Mgr Monsengwo, qui montrent dans ce film que le Congo renaît de ses cendres, même si les cendres sont encore chaudes. Pour le Katanga, je ne suis pas d'accord avec vous. Je viens de filmer la renaissance. Je viens de filmer les investisseurs qui reviennent au Congo. C'est un signe extrêmement positif. Le travail reprend, les activités industrielles reprennent, les routes sont réfectionnées, les chemins de fer pourront prochainement, je l'espère, retrouver leur dynamisme… la modernisation de la province est en cours. Certaines écoles sont en réfection. Tout cela, c'est bon signe. Le gouverneur porte un message d'espoir à sa base. Il reste des adaptations à faire. Je pense qu'aujourd'hui le peuple congolais est fatigué de la prédation, de la corruption, des tracasseries, du racket… Tout le monde a cet espoir que la démocratie doit changer un certain nombre de choses. Le mouvement est donc profond dans la société congolaise même s'il reste encore quelques poches de réseaux maffieux. Ils vont se résorber progressivement. Un autre phénomène que j'ai constaté au Katanga qui est intéressant, c'est qu'à partir du moment où il n'y a plus d'Etat, où il n'y a plus d'industries, il y a eu un mécanisme de survie économique : l'informel. Cela fonctionnait de manière outrancière et a permis une transition. C'était pratiquement une bouée de secours pour que les gens ne meurent pas de faim. Des sociétés ont bâti leurs richesses sur l'informel. Aujourd'hui, certains ont compris que c'était la fin de l'économie informelle et le début d'une industrialisation. Je pense que certains patrons se convertissent. C'est également un bon signe. Le gouverneur a, par exemple, pris un certain nombre de décisions notamment que les minerais non traités ne soient plus transportés en Zambie, mais profitent à la population du Katanga. Je pense que c'est toute une grande révolution industrielle, une grande mutation qui porte énormément espoir. Mais, il faut que cela aboutisse parce qu'il y a des forces occultes qui ne veulent pas de cette modernisation. Ayant parcouru tout le pays, n'avez-vous pas l'impression qu'avec l'effervescence du Katanga, c'est un autre pays qui est en train de naître dans un pays ? Oui, il y a deux Congo. Il n'y a pas le Katanga et le reste du Congo, il y a des provinces plus riches et les provinces moins développées. Le Congo dans l'ensemble est riche : en Ituri il y a du pétrole et du minerai, dans la cuvette il y a du pétrole, il y en a un peu partout du diamant, le Maniema possède des minerais, la province Orientale également, le Kivu à le colombo tantalite, l'Equateur est immensément riche de son bois et puis il y a le potentiel agricole de la plupart des provinces congolaise dont on ne parle pas assez. La province la plus riche, à mon avis c'est le Bas-Congo et non le Katanga. Le problème des richesses minières, c'est qu'elles sont épuisables. Le Katanga est riche pour vingt-cinq ou cinquante ans. Après, il y aura des trous, des carrières inondées et des cailloux qui n'auront plus aucune valeur. Donc, si le Katanga ne vit que de ses richesses minières, il est condamné à terme. C'est une question de génération. Par contre le Katanga a d'autres richesses comme l'élevage et l'agriculture. Le problème, c'est qu'on y vise l'enrichissement rapide. Tandis que le Bas-Congo a une énergie indéfiniment renouvelable avec l'eau, le fleuve, et les rapides. C'est fabuleux. Cette province donne sur l'Océan, elle n'est pas enclavée. Pensons à Inga II et III bientôt, on parle également de l'usine d'aluminium qui va être importante, mais on parle aussi de l'hydrogène, l'énergie de substitution de pétrole… La richesse de ce pays est phénoménale, extraordinaire. On est loin des autres pays, comme le Japon qui n'a rien comme ressource et qui ne compte que sur la technologie et le travail assidu de sa population. |