Avec "Katanga business", Thierry Michel affirme sa volonté de "fixer une mémoire africaine", et montre un potentiel économique majeur en plein réveil. Dans ce sixième film au Congo, le réalisateur veut "combiner l’émotion et la réflexion, et montrer que c’est bien l’économie qui détermine la politique". Plan Katanga : minerais contre nourriture Thierry Michel filme le renouveau chaotique de la province minière la plus riche au monde. L’Irak a eu son plan "Pétrole (et corruption) contre nourriture", le Congo pourrait connaître le sien, dans une version moins officielle, au Katanga, en l’échange des précieuses ressources minières (cuivre, zinc, cobalt, uranium) dont son sous-sol regorge. "Katanga business", le dernier film de Thierry Michel, donne à voir ce far-west où tout qui s’installe n’a pas peur d’imposer sa "loi" tant le besoin de travailler est grand et les contrôles sporadiques et (le plus souvent) inopérants. Un pays où de nouveaux partenaires (chinois, canadiens, sud-africains) arrivent avec leur propre culture d’entreprise, leurs exigences. A travers les convulsions d’une province en mutation, on découvre, ou on visualise, les forces en présence et les prémices d’une "guerre économique" d’ampleur. Thierry Michel montre le Congo en pleine reconstruction et à un (des nombreux) tournant(s) de son histoire. Les plus fragiles (les creuseurs) tentent de sauver leur travail même illégal, les plus faibles (les ouvriers miniers) luttent pour un salaire et un statut décents, les officiels sont forcés ou déterminés à fermer les yeux sur un certain nombre de pratiques suspectes, tandis que les intérêts particuliers des grands groupes président à toute négociation Conscient du potentiel et de l’enjeu socio-économique majeur que représente cette richissime province, Thierry Michel a posé sa caméra partout où les signes d’un réveil ou d’une ébullition, mais aussi de début de tensions, se donnaient à voir. Résultat : on a l’impression de vivre l’Histoire en mouvement(s), même si certains d’entre eux prennent forcément un autre relief sous l’œil de la caméra. Le passage de l’artisanat à l’industrialisation jette des centaines de gens dans l’incertitude et la misère, un mouvement que l’Europe, notamment, a bien connu dans ses bassins miniers et autres. Et une histoire que le natif de Charleroi connaît bien pour y avoir fait ses premières armes de cinéaste. Ainsi, voit-on les creuseurs s’attacher à la parole du gouverneur Katumbi comme à une bouée dérisoire, tandis qu’il œuvre pour que ces artisans ne soient pas les grands perdants du boom économique. Bien sûr, les nouvelles forces en présence n’ont pas que des mauvais côtés : en échange de cette richesse inespérée, les investisseurs chinois promettent de construire routes, écoles, centres de santé Si la scénarisation souffre de quelques redites et longueurs, au final, ce film apparenté par instants à l’école "Strip-tease" (question de personnages et de point de vue) permet au spectateur de prendre la mesure du temps et de l’espace. Dans cette province très convoitée, le géant minier est en phase de réveil, secouant la vie de ses habitants et des nouveaux arrivants. Revisitant les riches archives de ce pays "proche", le film mesure l’ampleur du défi encore à venir. Par ce film dense, riche, qui rend compte de l’anarchie de l’exploitation minière au Katanga, le réalisateur belge pointe aussi l’ambivalence et la complexité de ces mouvements qui doivent être étroitement surveillés par un Etat en voie de reconstruction. Si on ne veut pas que l’environnement en pâtisse, et que cet essor profite à tous, sauf au peuple congolais. "Creuseur du réel" Le premier séjour de Thierry Michel au Congo remonte à juin 1991; il s’était rendu à Kinshasa et au Katanga et avait été impressionné par l’univers minier décadent, une question d’ailleurs abordée dans "Les derniers colons" mais aussi dans "Le cycle du serpent" où l’on voyait les pillages, etc. Arrêté et expulsé pour avoir filmé un site à l’arrêt (en 1993-1994), le voici de retour au Katanga, quinze ans après Comment est née l'envie de ce film ? J’avais cette idée depuis longtemps parce que cela me rappelle l’univers minier de mon enfance. C’est un peu la Wallonie d’une autre époque. Dans les années 60, c’était cela que l’on pouvait voir en termes de cinéma. Cela me fait penser à un film qui m’avait beaucoup marqué à l’époque : "La terre de la grande promesse" d’Andrzej Wajda. En retraversant le pays pour "Congo river", j’avais déjà ramené des images d’enfants creuseurs, j’avais déjà beaucoup de matériel d’illustration. Je ferai d’ailleurs sans doute un "bonus" sur les grandes grèves fondatrices du syndicalisme congolais (1941) car j’en ai recueilli le récit par deux des derniers témoins congolais ramenés sur les lieux de ces luttes. Quelles personnes aviez-vous contactées avant de partir ? Quelles sont celles qui se sont imposées durant le tournage ? Avant de partir, j’ai principalement fait un travail journalistique et d’historien en listant les sociétés et les grands patrons afin d’avoir un panel général de la région. George Forrest était évidemment très connu en Belgique et je l’avais déjà croisé dans "Congo river"; j’avais pressenti l’importance de Mr Fortin que j’ai rencontré sur place. En revanche, Mr Min, l’investisseur chinois, est apparu plus tard avec l’annonce de la signature de ce contrat du siècle : 9 milliards de dollars. Quant au gouverneur Katumbi, il s’est affirmé avec le film, j’ai vu sa popularité croître durant la campagne électorale. J’ai d’ailleurs de nombreuses images de ces meetings et des tombolas qu’il a organisées ensuite pour remercier ses partisans. À l’époque, ils n’étaient que deux "demi-Blancs" en lice : Moïse-le métis et Le Libanais. Decaillon, le jeune Belge, s’est imposé ensuite, Boss mining, sa société, était en effet au cœur des tumultes avec les OPA, la guerre économique, etc. Qu'est-ce qui vous a le plus dérouté ? Les obstacles et les discordances dans les sociétés minières. J’ai rencontré René Nollevaux et j’ai découvert qu’il était liégeois. Lui était d’accord de nous laisser filmer la mine Kamoto mais nous avons eu ensuite une visite d’un avocat pour exiger un droit de regard sur nos images. Ce film représente d’innombrables courriers, appels téléphoniques et rencontres avec l’Afrique du Sud, Londres, Toronto, etc. Mais, il y a eu un phénomène d’usure. À la longue, on m’a laissé faire, sans plus très bien savoir si j’étais autorisé ou non à filmer. Finalement, moi aussi, j’ai travaillé de manière informelle. Ma chance a été aussi les nombreux changements dans les managements avec les recapitalisations, etc. Les gens de la base étaient habitués à me voir là et j’ai parfois dit aux autres que leur prédécesseur m’avait autorisé à filmer, même si ce n’était pas vrai. Forrest, lui, m’avait permis de le faire mais je n’ai jamais eu d’autorisation écrite. En revanche sur la question de l’uranium, il faut toujours être discret, si je disais ce que je sais Vous dites : il faut avoir de la conviction, de l'humour, de la patience et de la ruse... Oui, c’est ma technique, et puis je passe dans les télés et les radios locales, je me présente, je dis qui je suis et pourquoi je suis là, c’est ma tactique. Je joue la carte de la présence et de l’explication avec la population et les autorités locales. De toute façon avec l’ANR, la police des mines, la Sûreté militaire et toutes les autorisations qu’il faut récolter, il est impossible de passer discrètement où que ce soit avec une équipe et une caméra. L'ensemble du tournage s'est déroulé sur quel laps de temps ? Deux ans, et cinq voyages totalisant sept mois de séjour sur place, c’était le temps de se faire adopter et de suivre les choses sur la longueur. Au départ, je pensais faire au moins trois séjours, afin de travailler sur la durée, mais j’en ai fait un 4e, en raison des grèves et des émeutes, un 5e, avec l’arrivée annoncée de Monsieur Min et j’en ferai sans doute un 6e, en juillet, pour assurer la mise à jour du film en vue de sa future diffusion en télévision. Je veux aussi revenir sur le sillon de Moïse Katumbi. Déjà avant mon arrivée, il y avait des problèmes avec les creuseurs, la violence sociale était latente avec tous ces gens dépendant de cette économie artisanale. C’est moi qui ai appris à George Forrest et à son fils l’arrivée de Monsieur Min, grâce à un communiqué reçu quelques semaines auparavant, ils étaient très étonnés. Il nous a fallu une grande mobilité pour faire ce film, on n’a pas arrêté de faire des sauts de puce d’un point à l’autre. Tout cela a été possible parce que nous avions un bon 4x4, un super chauffeur et deux assistants congolais épatants. Et puis grâce à nos réseaux, parmi les creuseurs et les ouvriers, nous étions avertis de tout. Rentré du Festival du Burkina Faso, quels sont les films qui vous ont marqué ? Car certains seront visibles dès demain au Festival du cinéma africain à Bruxelles... Oui, "Katanga Business" a été montré dans le cadre du récent Fespaco et il sera montré au Cameroun, au Rwanda, au Sénégal, en RDC et au Gabon ; nous avons reçu des demandes pour tous ces pays. Le film "Teza" est un chef-d’œuvre absolu, avec une dramaturgie, un montage, une musique incroyables mais Haile Gerima possède un bagage technique incomparable. On constate une émergence de beaucoup de jeunes, car le cinéma est un vrai lieu d’expression, et de beaucoup de docus, même s’ils n’ont pas tous le niveau. Il y a aussi un vrai envol du Maroc, soutenu par une volonté politique, qui produit presque autant que toute l’Afrique ; et de l’Afrique du sud, audacieuse et moderne. Karin Tshidimba La Libre Belgique - 1er avril 2009 retour |